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11 juin 2013 2 11 /06 /juin /2013 23:45

La réunification allemande de 1990 et le processus par lequel l’économie de l’ex-Allemagne de l’Est a été intégrée dans celle de l’Allemagne de l’Ouest ne font plus l’objet d’études ou de débats un quart de siècle après cet événement fondamental pour l’Allemagne et pour l’Europe. Pourtant, ils ont marqué les mémoires outre-Rhin et sont porteurs de riches enseignements à l’heure où la zone euro réfléchit à une nouvelle étape de son intégration économique et politique et notamment au développement d’une « union de transfert ». Revenir sur les conditions dans lesquelles la réunification a été réalisée au plan économique permet de mieux comprendre les réticences fondamentales de l’Allemagne contemporaine face à la perspective d’un renforcement de la solidarité budgétaire et financière avec les pays périphériques de la zone euro, car ce processus économique a requis, de la part du contribuable allemand, un effort sans précédent (qui peut être évalué en moyenne à 5% du PIB national en flux bruts depuis 25 ans) qu’il n’est probablement pas en mesure de rééditer à plus grande échelle encore pour les peuples du sud de l’Europe. Cette étude permet aussi de mesurer combien recréer de la croissance au sud de l’Europe sans transferts financiers sera très difficile voire impossible sans la recréation de monnaies nationales. L’Allemagne de l’Est, en dépit de transferts financiers massifs et de mouvement de population très importants vers l’Ouest (l’ex-RDA se dépeuple au rythme de 5% par décennie depuis 1990) a cessé de converger vers le niveau de richesse de l’Ouest (elle stagne à 70% depuis 1998). Qu’en sera-t-il en Europe du sud dans les prochaines décennies sans dévaluation, sans union de transfert et sans mobilité massive des travailleurs ?

La réunification allemande de 1990 a été une expérience économique sans précédent historique en Europe : l’intégration accélérée et complète d’une économie planifiée sous compétitive de 16 millions d’habitants à une économie de marché très compétitive de près de 64 millions d’habitants, dans un contexte historique et politique exceptionnel, celui de la réunification du continent Europe après 40 ans de guerre froide. Avec le recul, la réunification de l’Allemagne a marqué sans conteste le grand retour de notre grand voisin au cœur de l’Europe, celui-ci ayant conduit à partir de cette date une transformation structurelle de son économie qui a abouti, 25 ans plus tard, à assurer sa domination complète de l’économie européenne. Ce succès en apparence incontestable de la réunification au plan économique n’a toutefois pas été obtenu sans douleur et a profondément marqué l’opinion et les élites politiques allemandes.

1991 : l’effondrement complet de l’économie est-allemande

En intégrant l’Allemagne de l’Est dans l’Allemagne fédérale, le chancelier Kohl a bien entendu répondu à une exigence historique incontestable, la réunion du peuple allemand dans un seul Etat et la constitution d’une société unifiée et solidaire, conformément à la Loi fondamentale de 1949 qui garantit en principe aux Länder un niveau de vie égal au sein de la fédération allemande[1]. Néanmoins, il a été rapidement confronté à d’immenses difficultés du fait du déséquilibre économique massif entre les deux Allemagnes en 1990 : la productivité par tête de l’Est ne dépassait pas 30% du niveau de l’Ouest (en dépit de l’héritage « industriel » de l’ex-RDA dans le bloc soviétique), le PIB par habitant de l’Est 44% de celui de l’Ouest, le niveau de vie de l’Est étant donc très largement inférieur à celui de l’Ouest (le PIB de l’Est était de 208 md€ contre 1400 md€ à l’Ouest en équivalent en euros des DM de l’époque). Dans ces conditions, intégrer sans transition une masse de population pauvre et peu qualifiée dans un espace économique prospère et compétitif revenait à créer un choc macro-économique et social massif très déstabilisateur. De fait, la réunification s’est d’abord traduite, en 1991, par un effondrement complet de l’économie est-allemande, la production nationale baissant de 66%. Le choc compétitif créé par l’intégration dans l’économie ouest-allemande a tout simplement rayé de la carte économique le secteur productif d’Allemagne de l’est, ses entreprises subventionnées et non compétitives.

L’ampleur du choc s’explique d’abord par une cause majeure : l’unification monétaire à un taux de 1 pour 1 entre le mark de l’est et le mark de l’ouest. Cette décision politique, très critiquée à l’époque par les économistes, a été prise par le chancelier Kohl contre l’avis de la Bundesbank (qui plaidait pour un taux de 2 pour 1), pour des raisons politiques (i.e. ne pas débuter la réunification par un acte monétaire qui aurait marqué dès le départ une inégalité structurante entre les deux populations). En réalité, le mécanisme de conversion monétaire adopté le 1er juin 1990 était plus complexe que l’image qu’on en a retenu : le taux de change officiel était bien 2 pour 1, mais il était de 1 pour 1 pour tous les dépôts et les avoirs d’épargne compris entre 2000 et 6000 DM (en fonction de l’âge). En outre, l’ensemble des dettes d’entreprise et des crédits immobiliers ont été convertis à 2 contre 1 de manière à alléger le poids de la dette et d’éviter les faillites (dette totale de 360 milliards d’Ostmarks de l’époque). Malgré ces ajustements, le choc compétitif de la réunification a été tel que l’appareil productif de l’Est s’est rapidement effondré.

Une autre cause de l’effondrement économique de l’Est a été la politique de re-privatisation et de restitution des propriétés expropriées de l’époque nazie et de l’époque soviétique. Dans une déclaration du 15 juin 1990, les deux gouvernements de l’Est et de l’Ouest adoptèrent le principe de la restitution totale des propriétés ou d’une juste compensation financière, ce qui ouvrit une longue période d’incertitude sur la propriété des actifs économiques est-allemand et qui contribua donc à l’arrêt complet de l’activité de nombreux établissements. Rapidement, l’administration fédérale fut submergée par plus de 1,5 millions de demandes de restitution (25% de l’ensemble des propriétés est-allemandes) et la mauvaise qualité des actes juridiques est-allemand rendit impossible un traitement accéléré des demandes. En pratique, il fallut inscrire une exception à la règle dans le traité d’unification pour permettre un traitement accéléré des demandes au motif de « besoins urgent d’investissement » pour ne pas arrêter complètement la machine économique.

Pour les propriétés non contestées, la privatisation conduite par la Treuhandanstalt (le fonds chargé de récupérer les actifs publics est-allemand et de les céder) a été rapide, mais elle a surtout favorisé les acheteurs de l’ouest qui, souvent, ont reçu des subventions importantes puis ont mis en faillite les entreprises (exemple des chantiers navals de Rostock mis en faillite en 1995 malgré des aides européennes de plus de 430 mln€). La privatisation n’a donc pas favorisé non plus la poursuite de l’activité économique. La Treuhand avec récupéré près de la moitié du total des actifs du pays (40 000 usines, 8000 entreprises publiques et Kombinat, 2,5 millions d’hectares de terres et de forêts). En 1993, la Treuhand avait réussi à vendre 80% de ses actifs, principalement aux investisseurs de l’Ouest seuls capables de lever les fonds nécessaires pour les acquisitions. Liquidée en 1994, la Treuhand a laissé 230 Md DM (115 md€) de dettes héritées des entreprises privatisées à l’entité de défaisance qui lui a succédé (BMGB).

Enfin, la politique du marché du travail, en intégrant sans transition les travailleurs de l’est (plus de 7 millions) au marché du travail de l’ouest, occasionna un choc massif à l’est en favorisant la migration des travailleurs les plus capables vers l’Ouest : en 1991, l’emploi à l’Ouest a augmenté de 700 000 sous l’effet du boom économique de la réunification et 400 000 de ces emplois furent occupés par des travailleurs de l’Est migrants. En outre, la couverture des chômeurs de l’Est par les dispositifs sociaux de l’Ouest se traduisit par une explosion des coûts d’assurance chômage, 90% des travailleurs de l’Est bénéficiant d’une manière ou d’une autre en 1990 d’une subvention pour chômage ou sous-emploi. En conséquence, les déficits publics se sont creusés et maintenu autour de 3% du PIB entre 1991 et 1997 et la dette publique est passée de 40% à 60% du PIB sur la période.

La réunification à l’Ouest : transferts budgétaires, hausse des impôts, surchauffe, récession et chômage

Pour compenser l’ampleur de choc, les autorités fédérales ont été amenées à mettre en œuvre une politique de transferts budgétaires à très grande échelle. En mai 1990, le « Fonds pour l’Unité Allemande » a été créé et doté de 115 md DM (58,6 md€ de l’époque) pour financer des transferts vers l’Est durant la période 1990-1994. Pour épargner le contribuable, le chancelier Kohl avait promis de ne pas augmenter les impôts pour financer le Fonds qui devait plutôt d’endetter sur les marchés financiers (pour l’essentiel). Dans les faits, les dépenses du Fonds pour l’unité ont dépassé largement les prévisions, atteignant 160,7 md DM dès 1992 (82 md€) et 770 md DM en 1994 (393 md€). 60% de ses ressources furent empruntées (ce qui a provoqué une hausse de l’endettement public) et 40% financées par le budget fédéral et les Länder. Au total, les transferts opérés d’Ouest en Est durant cette première phase de la réunification ont représenté un effort de 3000 DM (1530 €) par habitant de l’Ouest, et une subvention égale à 12600 DM (6430 €) par habitant de l’Est.

Après 1994, l’effort budgétaire fédéral a continué dans le cadre de «programmes de solidarité » qui sont encore actifs aujourd’hui et qui devraient cesser en 2019 (105 md€ sur la période 1995-2004, 156,6 md€ sur la période 2005-2019).

Cet effort budgétaire fédéral massif a été complété rapidement par d’autres transferts de la part des Länder de l’Ouest (redistribution des recettes fiscales), des transferts sociaux (cotisations), des transferts de la Treuhand (reprise de la dette des entreprises privatisées) et des aides de l’Union européenne (13,6 md€ de 1994 à 1999 au titre des fonds structurels, 23 md€ de 1996 à 2008 au titre de la PAC, 18 md€ de fonds structurels sur cette même période et 16,5 md€ sur la période suivante jusqu’en 2013).

Au total, les estimations réalisées ex post économistes (il n’y a pas de donnée officielle globale) sur le montant total annuel des transferts donne idée de l’ampleur du transfert de richesse opéré. La première année, en 1991, les transferts vers l’Est ont représenté 5,5% du PIB de l’Ouest (70 md€) et 73% de celui de l’Est (source : R. Dornbusch). En 1992, ils ont représenté 6,3% du PIB, 6,8% en 1993, 6,4% en 1994 (effet des activités de la Treuhand). En 1996, le FMI estimait à 5,7% du PIB national (100 md€ de l’époque) et 38% du PIB de l’Est le montant des transferts (2,4% au titre des dépenses sociales, 1,3% au titre des transferts entre Länder, 0,8% au titre des programmes d’infrastructure, 0,5% au titre des aides fiscales pour soutenir la création d’entreprises, 0,5% au titre des autres transferts).

Depuis 1995, les transferts vers l’Est passent par trois canaux principaux : le Fonds de solidarité fédéral, les transferts sociaux et les transferts entre Länder. Ces trois canaux continuent à canaliser des fonds considérables, et cela jusqu’en 2019, de l’ordre de 4% du PIB par an jusqu’en 2009 (dont 2% au titre des transferts sociaux, 1,2% au titre des systèmes de péréquation entre länder et 0,8% au titre du fonds de solidarité) avant la diminution progressive du fonds de solidarité sur la période 2009-2019 (les transferts sociaux induits par le système de sécurité sociale seront maintenus après 2019 – soit 2% du PIB ou 54md€ en 2013, les conditions de la solidarité entre Länder fera, elle, l’objet d’un débat dans le cadre de la redéfinition du système de péréquation Länderfinanzausgleich).

Par ailleurs, les coûts de la réunification pour l’Ouest ont également été provoqués par l’affaiblissement durable de l’économie allemande entre 1992 et 1997. L’effort d’investissement et l’acquisition des biens privatisés à l’Est a rendu nécessaire un apport en capital considérable de la part des investisseurs de l’Ouest qui a provoqué un appel aux capitaux externes massif à partir de 1991, l’excédent courant de l’Allemagne devenant un déficit en quelques mois (passant d’un excédent de plus de 3% du PIB en 1990 à un déficit de 1,5% du PIB en 1991). Le boom économique de 1991 contribua à la surchauffe de l’économie de l’Ouest, confrontée à une explosion de la demande de l’Est subventionnée par un taux de change très favorable. Confrontée à une hausse des tensions inflationnistes, la Bundesbank réagit avec vigueur en augmentant fortement les taux d’intérêt, plongeant le pays (et l’UE) dans la récession en 1993 et provoquant une hausse forte du chômage sur la période 1992-1997 (le taux de chômage passant de 5,5% à 9,6%). Il faudra une décennie complète de réforme structurelle pour que l’Allemagne retrouve en 2005 le chemin d’une forte croissance et un niveau de compétitivité remarquable.

Ces apports massifs de fonds publics ont été alloués à un effort sans précédent de mise à niveau des infrastructures de l’Est (environ 2/3 des fonds alloués, le reste allant aux dépenses sociales) le coût total des dépenses ferroviaires atteignant 29md€ et celui de la reconstruction des routes 32md€ sur la période 1991-2009. La reconstruction des bâtiments dans toute l’Allemagne de l’Est a également donné des résultats spectaculaires. Néanmoins, la reconstruction de l’infrastructure ne s’est pas partout traduite par une dynamique économique autonome.

Un bilan économique de la réunification qui reste en demi-teinte

La célébration du 20e anniversaire de la réunification en 2010 a été l’occasion d’un débat de fond en Allemagne sur la situation qui demeure mitigée dans les nouveaux Länder de l’Est en termes de développement économique et social. Si le chômage a beaucoup baissé à l’Est et le niveau de vie progressé, il reste en Allemagne deux sociétés bien distinctes à l’Est et à l’Ouest, deux visions de l’histoire allemande et deux ensembles de valeurs.

Le niveau de développement à l’Est demeure éloigné de celui de l’Ouest, en dépit de transferts de toute nature qui avoisineront 3000 md€ sur la période 1990-2020. Depuis 1990, l’Allemagne de l’Est ne cesse de perdre des habitants, à un rythme de l’ordre de 5% par décennie et en dépit du dynamisme de Berlin (entre 2000 et 2010, les anciens Länder ont perdu 800 000 habitants). Entre 1990 et 1995, le PIB par habitant a fortement progressé à l’Est sous l’effet des politiques sociales et d’investissement et également de la baisse forte de la population, pour atteindre 70% de la moyenne de l’Ouest, mais il stagne à ce niveau depuis cette époque en dépit du maintien de flux d’investissement massifs[2]. Durant la même période, la Pologne, par exemple, a cru deux fois plus vite que les nouveaux Länder. Le taux de chômage à l’Est restait en 2012 à peu près le double de celui de l’Ouest (10% contre 5,5%). Le niveau des salaires et des pensions de retraite reste sensiblement inférieur à l’Est. Selon les prévisions officielles, il faudrait encore 50 ans pour espérer atteindre une parité est-ouest des niveaux de développement.

En bref, pour les Allemands de l’Ouest, la réunification est d’abord l’expérience douloureuse de leur incapacité à effacer le passé en quelques années, en dépit de milliers de milliards d’euros de dépenses et de subventions, simplement parce que les sociétés humaines ne sont pas malléables facilement et que l’accumulation rapide de capital physique ne peut pallier aux défaillances, difficiles à résoudre à court terme, du capital humain.

L’expérience de la réunification en Allemagne, c’est aussi la prise de conscience des limites intrinsèques de la dépense publique, surtout lorsqu’elle est distribuée sans compter. Le bilan de la gestion des crédits affectés aux Länder de l’Est a révélé en effet de très importants détournements des fonds de leur objet d’origine. Par exemple, le rapport de 2011 du Center for Eastern Studies révèle qu’en 2003, un audit a révélé que de 30% à 73% des crédits avaient été détournés de leur objectif par les Länder. De manière générale, les fonds directement gérés par les Länder de l’Est ont été alloués très majoritairement à des subventions sociales, l’investissement ne représentant qu’une part résiduelle estimée à 10% par les experts de l’Ouest.

Enfin, le plafonnement de la convergence des niveaux de richesse et de productivité (80% du niveau de l’ouest aujourd’hui) est maintenant considéré comme un phénomène largement inhérent aux différences structurelles qui demeurent au niveau de l’appareil productif de l’Est et de l’Ouest. Alors que les sites de production de l’Est ont été repris et intégré dans des groupes ouest-allemands (il y a même des exemples de nouvelles implantations, comme par exemple à Dresde dans l’électronique ou l’automobile), ces sites demeurent dédiés à des activités de montage et non de recherche-développement ou de conception à forte valeur ajoutée. Cette réalité explique pourquoi l’objectif d’une parité des niveaux de richesse est aujourd’hui considéré comme encore très éloigné.

Quelles conclusions pour la gestion de la crise de l’euro ?

La revue de vingt-cinq ans de politiques de soutien à la revitalisation des Länder de l’Est permet d’abord de mieux comprendre l’attitude allemande vis-à-vis de la crise en Europe du sud. Les Allemands ont retenu de cette période que la « solidarité » financière, monétaire, fiscale et budgétaire entre des zones riches et des zones pauvres peut être extrêmement couteuse sans parvenir, même après un quart de siècle, à égaliser les niveaux de vie entre des zones qui partagent pourtant la même langue, au sein d’un même peuple. En réalité, la mobilité du travail entre l’Est et l’Ouest, et donc la dépopulation de l’Est[3], a beaucoup contribué à la hausse du revenu par habitant des nouveaux Länder, aux côtés des subventions distribuées. En revanche, l’installation d’infrastructures et d’équipement neufs (souvent considérés comme « trop neufs » par les anciens Länder de l’Ouest qui ont vu leurs crédits d’investissement diminuer sous le poids des transferts vers l’Est) n’ont pas encore suffi, en dépit des sommes énormes investies, à initier un cycle de croissance autonome et durable.

Pour les Allemands, la leçon de la réunification a été rude et a été pleinement retenue pour la gestion de la crise de l’euro. La situation des pays d’Europe du sud ressemble en effet par certains aspects à l’Allemagne de l’Est de 1990 : une union monétaire rigide, des niveaux de productivité, de salaires et de prix très largement non compétitifs, des écarts de richesse très importants, des différences culturelles et sociales fortes et un niveau d’éducation de moindre niveau. Comme en 1990, les meilleurs travailleurs sont incités à migrer en Allemagne de l’Ouest pour bénéficier des emplois et des salaires offerts, mais cette possibilité n’est pas offerte à tous (barrière de la langue). Comme en 1990, ces pays ont bénéficié de transferts européens importants pour développer des infrastructures, mais cette dotation en capital productif ne peut suffire à rendre l’économie productive et autonome. Il n’est donc pas question pour l’Allemagne de rééditer l’expérience. On comprend donc pourquoi les Allemands n’accepteront sans doute jamais une union de transfert visant à développer à l’échelle de la zone euro les mécanismes de solidarité budgétaire mis en œuvre durant 25 ans vers les Länder de l’Est : trop cher (entre 2% à 5% du PIB), trop lent à donner des résultats, alors même que la mobilité du travail est bien plus faible entre le nord et de sud de l’Europe (ce qui impose donc de créer plus de richesse dans les régions pauvres dont la population ne baisse pas).

Ce refus de l’union de transfert pose néanmoins un grave problème. Dans l’union monétaire avec une Allemagne de l’Est non compétitive en situation d’effondrement économique, il n’était pas envisageable pour l’Allemagne de l’Ouest de refuser la solidarité. Il n’était tout simplement pas pensable de maintenir des pans entiers du territoire réunifié dans une situation de pauvreté durable, au nom de la solidarité inter-allemande bien sûr, mais aussi pour des raisons de stabilité sociale évidentes. En quoi ce constat serait-il si différent pour l’Europe du sud d’aujourd’hui ? A l’issue de l’ajustement par l’austérité en cours dans ces pays, il est probable que l’écart de richesse par habitant avec l’Allemagne sera comparable avec celui entre l’Est et l’Ouest en 1991 (un rapport de 1 à 2). Mais en l’absence de transferts pour maintenir un niveau de consommation minimal, mettre à niveau leurs infrastructures et développer leur tissu productif et en l’absence de la possibilité de dévaluer leur monnaie, ces pays n’auront aucun espoir de retrouver de la croissance et la prospérité.

Pour conclure, la grande leçon de la réunification allemande n’est-elle pas finalement qu’il est très difficile de faire cohabiter dans une union monétaire des régions et des populations au niveau de développement très inégal ? Une union de transfert à grande échelle permet de « limiter la casse » (un écart de richesse de l’ordre d’un tiers, qui est visible dans d’autres pays européens y compris la France, maintenu grâce à des transferts permanents de zones riches vers les zones pauvres de l’ordre de 5% du PIB des zones riches). A l’échelle de la zone euro, cela signifierait pour l’Allemagne de verser sous forme de prestations sociales fédérales ou de transferts budgétaires directs de l’ordre de 130 md€ par an de manière permanente (le plafond fixé par la Cour de Karlsruhe aux garanties accordées par l’Allemagne dans le cadre de l’ESM est de 190 md€). Sans union de transfert, on ne voir donc pas bien comment les pays d’Europe du sud pourraient se maintenir à long terme dans la zone euro.

Paris, le 11 juin 2013

[1] On retrouve dans les traités européens l’idée de « convergence » des niveaux de développement économique entre les régions d’Europe, mais la loi fondamentale allemande va plus loin en « garantissant » l’instauration de mécanismes redistributifs bien plus puissants que ceux mis en œuvre par l’Union européenne dans le cadre de la politique de cohésion.

[2] Par comparaison, en 2011, le PIB par habitant du Portugal était égal à 63% de celui de l’Allemagne (en standard de pouvoir d’achat, source Eurostat), celui de l’Espagne à 81%, celui de l’Italie à 83%, celui de la Grèce à 65% et celui de la Pologne à 53% du niveau allemand.

[3] Entre 2008 et 2015, il est prévu que la population de 15-25 ans baisse encore de 40% à l’Est.

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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 19:20

Le débat fait rage entre la France et la Grande-Bretagne pour savoir lequel d'entre les deux pays mérite le plus d'être dégradé en premier par les agences de notation. A entendre François Baroin, il "vaut mieux être français qu'anglais en ce moment au plan économique". Est-ce si certain ?

 

Ces enfantillages entre pays sont divertissants. Ils révèlent surtout l'incapacité des dirigeants français à comprendre ou à admettre (c'est selon, ne soyons pas méchants) les ressorts fondamentaux de la crise de l'euro.

 

Oui, les Français ont raison, les fondamentaux de l'économie britannique sont très affaiblis et une dégradation de la note souveraine du pays devra sans doute être envisagée un jour prochain. D'ailleurs, contrairement à la France, le Royaume-Uni a déjà été une fois mis en "outlook négatif" par les agences de notation, avant les dernières élections, mais le plan Cameron d'austérité a ensuite été jugé assez crédible pour que les agences rétablissent le AAA avec perspective stable.

 

Néanmoins, le débat franco-britannique ne tourne pas autour de différences d'appréciation sur quelques pourcent de plus ou de moins des ratios de déficit ou de dette. L'analyse des agences de notation repose avant tout sur le constat selon lequel le Royaume-Uni conserve une totale souveraineté monétaire et une banque centrale capable (elle le fait déjà massivement) d'assurer le maintien des taux de financement de l'Etat britannique à des niveaux extrêmement bas pour faire face à la masse de la dette.

 

En France, les agences prennent acte du fait que, comme tous les autres pays de la zone euro sauf l'Allemagne, notre pays ne dispose pas d'un prêteur en dernier ressort pour assurer les investisseurs qu'en aucun cas un défaut de paiement est possible. La France, du point de vue des agences de notation, emprunte en monnaie étrangère, émise par une banque centrale qu'elle ne controle pas, même en période de crise extrême. Un peu comme tous les pays en développement qui ont connu des crises de la dette dans le passé du fait de leur endettement en dollar américain.

 

Le vrai débat franco-britannique est là. Est-ce légitime de dégrader un pays dont le risque de défaut souverain est objectivement et par construction plus élevé que celui des pays disposant encore de leur banque centrale nationale et émettant dans une devise somme toute encore crédible au plan mondial ? Nous le pensons.

 

Le silence français sur ce point est révélateur. Il touche au plus de faiblesse fondamental de la construction de l'euro du point de vue de la France. Il révèle que le roi est nu et que nos dirigeants n'y peuvent pas grand chose, sinon prier pour que la BCE se mette, enfin, à imprimer de la monnaie, mais elle ne le fera sans doute pas.

 

Ce point touche enfin à l'absurdité fondamentale d'une construction monétaire non précédée d'une construction politique. Il est bien tard de s'en apercevoir et sans doute préférable, pour nos élites, de créer une polémique inutile avec nos voisins Anglais et de faire croire au complot.

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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 19:07

Il est facile ces temps ci de se faire taxer de « germanophobie » dès lors qu’on ose ouvrir un débat rationnel  sur les conséquences catastrophiques de la politique économique allemande sur l’Europe.


Le FMI, qui on l’espère sera considéré par tous comme un arbitre impartial, apporte en des termes bien choisis un éclairage sans concession sur cette question centrale qui dans son récent « Sustainability Report » sur l’Allemagne. Ce rapport est rédigé dans le cadre du travail confié par le G20 à l’institution de Washington pour surveiller les « déséquilibres globaux » à l’échelle mondiale et pour faire des recommandations en vue de leur réduction. On le sait, ces déséquilibres ont contribué à la crise systémique de 2008 en autorisant des investissements massifs de capitaux en provenance des pays en excédents dans le secteur financier occidental.

 

Que dit le FMI ?

 

1/ D’abord, il constate le niveau des excédents courants allemands. En 2010, ils représentaient 5,7% du PIB allemand, soit un niveau supérieur à celui de la Chine (5,2%) ! Le FMI rappelle que cette réalité n’est pas nouvelle. A part la période de la réunification, l’Allemagne a toujours dégagé depuis les années 1950 des excédents commerciaux et des excédents des comptes courants importants. Néanmoins, l’accroissement de l’excédent courant allemand depuis 2000 est sans précédent historique : en 2007 il dépassait 6% du PIB alors qu’il était de -2% en 2000.

 

2/ Ensuite, il trace l’origine de ces excédents structurels dans la capacité de l’industrie allemande à occuper une niche « haut de gamme » dans le commerce mondial et, surtout, dans la politique d’austérité salariale conduite depuis 2000 Outre-Rhin et dont les caractéristiques sont bien connues des lecteurs de ce blog.

 

Plus intéressant, il cherche aussi les raisons pour lesquelles les très fortes exportations ne sont pas contrebalancées par des importations de même ampleur. L’explication se trouve du côté de la faible demande intérieure en Allemagne du coté des ménages, qui s’explique bien évidemment par l’austérité salariale, mais aussi du côté du faible taux d’investissement. De 2000 à 2007, l’investissement a baissé en Allemagne  en proportion du PIB, le pays étant presque bon dernier dans le classement des pays de l’OCDE (la Suède et le Royaume-Uni présentant une performance encore plus médiocre). L’explication de ce phonème est plus dure à trouver :

 

- selon le FMI, il est probable que les dysfonctionnements du système financier sont une cause importante. Le secteur bancaire allemand n’est pas compétitif, le crédit étant encore largement alloué par des banques régionales contrôlées par les Etats régionaux. Par conséquent, la rentabilité des investissements en Allemagne est faible, ce qui explique que les banques et les gestionnaires de fonds ont massivement préféré aller investir dans les pays du sud de l’Europe … En outre, le capital investissement est assez peu développé.

 

- Le FMI indique aussi que la productivité du secteur non ouvert à la concurrence internationale reste faible en Allemagne, notamment en raison de la réglementation et des déficiences du système éducatif (le FMI souligne que le système allemand ne produit pas assez de généralistes et trop d’ingénieurs spécialisés réservés à l’industrie exportatrice)

 

- on peut penser aussi que le modèle industriel allemand privilégie la délocalisation de l’amont des chaines de production (Europe de l’Est) ce qui contribue à déprimer l’investissement sur le territoire allemand qui ne concerne que le bout de la chaine de production.

 

3/ Le FMI juge enfin les conséquences de ces réalités allemandes, elles sont très claires :

 

- L’Allemagne a contribué à élargir considérablement les écarts de compétitivité au sein de la zone euro avec sa politique salariale non coopérative. L’absence d’ajustement par le change et la mauvaise intégration des économies ont rendu impossible un rééquilibrage des déficits courants au sud de l’Europe, ce qui a rendu la crise actuelle de la dette inéluctable.

 

- A l’échelle mondiale, même, le FMI écrit que « l’Allemagne pourrait contribuer à un croissance mondiale plus élevée et plus stable en faisant moins reposer son modèle économique sur l’exportation et davantage sur la demande interne ». Un modèle économique centré sur l’exportation est fragile car exposé aux variations de la croissance mondiale

 

Qu’en fera l’Allemagne ?

 

Rien sans doute. En Europe, elle détient maintenant toutes les cartes du jeu. Au sein du G20, elle pourra compter sur la Chine pour éviter un débat trop brutal.

 

Remarquons que la Commission européenne aurait les moyens, dans le cadre du nouveau « Six Pack » de lancer une procédure en « déséquilibre excessif » contre l’Allemagne en considérant que son excédent courant pose un problème à l’ensemble de l’économie européenne. Néanmoins, nous prenons les paris que cela n’arrivera jamais, l’Allemagne ayant déjà fait savoir qu’elle ne considérait que les « déséquilibres négatifs » comme étant susceptibles de poursuites …

 

A quoi faut-il dont s’attendre ?

 

Le FMI esquisse un scénario favorable, c’est son rôle. L’Allemagne, forte de sa position acquise, mettrait fin dans l’avenir à sa politique d’austérité salariale, contribuant ainsi à rééquilibrer un peu les écarts de compétitivité dans la zone euro.

 

Nous doutons du réalisme de cette hypothèse. Comme certains éditorialistes commencent enfin à l’accepter, l’Allemagne souffre d’un manque chronique de « vision globale » des conséquences de ses propres politiques. L’excédent commercial demeure et demeurera encore longtemps le « socle » fondamental du consensus social en Allemagne, conformément aux conceptions des fondateurs de la RFA dont Ludwig Ehrard. Il s’agit de convictions profondes et largement partagées dans une population qui, du fait de ses valeurs propres, considère l’endettement et la surconsommation comme des comportements « anormaux ».

 

En 1944, Keynes proposait le Bancor et la création d’un système international de recyclage des excécents courants des pays « forts » au profit de la relance dans les pays « faibles ». Il proposait pour cela une forme de taxation des excédents courants. Soixante-cinq ans après nous en sommes toujours au même point. Les pays « forts » ne veulent pas accepter qu’ils portent une part de responsabilité dans les déficits des pays « faibles », et les crises reviennent toujours …

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20 novembre 2011 7 20 /11 /novembre /2011 23:58

Nous sommes frappés, depuis quelques semaines, du retour d’un débat de nature institutionnelle sur l’avenir de la zone euro : la réforme « limitée » des traités européens souhaitée par l’Allemagne suffirait par elle-même à apporter une vraie réponse à la crise. Ces prises de position répétée des partisans d’un fédéralisme renforcée dans la zone euro donne une nouvelle fois l’impression que les partisans d’une Europe plus « intégrée » croient dur comme fer que les institutions emportent le réel et sont capables, à elles-seules, de changer les données fondamentales du problème européen (les écarts de compétitivité, l’absence d’intégration économique réelle).

 

Les travaux économiques portant sur l’intégration monétaire depuis des décennies insistent au contraire sur l’importance des « fondamentaux » économiques pour apprécier la faisabilité d’une monnaie unique. Plus particulièrement, Paul Krugman a, il y maintenant vingt ans, longuement travaillé sur la dimension géographique et territoriale du problème. Auteur de référence de l’approche géographique de l’économie (la « nouvelle géographie économique »), il a mis en lumière de manière tout à fait éclairante l’importance des dynamiques territoriale dans les unions monétaires qui ont réussi. En résumé, une union monétaire qui fonctionne bien aboutit à une spécialisation productive très poussée des régions, les régions les plus richement dotées en facteurs de production efficaces, les autres régions ayant vocation à de désindustrialiser. Il s’agit, selon Krugman, d’une évolution efficace et souhaitable car elle permet à l’union monétaire dans son ensemble d’atteindre un niveau de croissance élevé. Aux Etats-Unis, mais aussi en France ou en Italie, c’est exactement ce type de spécialisation productive des région qui est observée depuis plusieurs siècles d’unification monétaire. Aux Etats-Unis, la spécialisation est trè forte et très efficace : la finance à New-York, l’aéronautique à Seatle, l’automobile à Detroit, le pétrole au Texas, l’informatique en Californie… Pour les régions pauvres, il n’existe pas d’autre destin que celui d’un territoire pauvre, assisté financièrement par les régions riches, et dont les populations jeunes et qualifiées émigrent massivement vers les centres de production. C’est le cas des Etats du centre des Etats-Unis, mais aussi de nombreux départements français de la « diagonale du vide ».

 

Cette école de pensée nous semble absolument fondamentale pour comprendre les dynamiques à l’œuvre dans la zone euro.

 

Le succès de la zone euro passe par une transformation territoriale analogue à ce qui a été observé dans les autres unions monétaires. Une union monétaire capable de croître fortement suppose une concentration des facteurs de production vers les régions les mieux dotées en capital et en travailleurs qualifiés, c’est à dire les régions de la « banane bleue » de l’Europe, qui va d’Amsterdam à Milan en passant par la Belgique, l’Est de la France, l’Allemagne de l’Ouest et l’Autriche. Ces régions sont le cœur industriel de l’Europe. Elles sont le cœur des pays encore notés AAA.

 

L’échec des dix premières années de l’euro apparaît alors clairement : au-delà des problèmes institutionnels et des problèmes budgétaires qui concentrent tous les débats, nous pensons que les causes fondamentales de la crise sont à trouver du côté de l’économie réelle et de l’échec européen à enclencher la dynamique de concentration des facteurs annoncée par Krugman.

 

Qu’ont fait en effet les Etats de la zone euro depuis 10 ans : exactement le contraire de la préconisation des économistes. D’abord, les Etats ont globalement résisté à la concentration des facteurs dans la zone germanique. On les comprend : dans une Europe encore dominée par les logiques nationales, les gouvernements ont tout mis en œuvre pour défendre leur industrie, leur système financier. En outre, l’absence quasi totale de mobilité du travail a fortement freiné les logiques de concentration. Ensuite, et surtout, les Etats membres ont refusé de mettre en place les dispositions de solidarité avec les régions pauvres appelées à se désindustrialiser, en écrivant dans le traité une règle de « non renflouement » des pays en difficulté.

 

Au final, les forces puissantes de la concentration régionale du potentiel productif se sont exercées, mais ont été freinées par les politiques nationales et n’ont pas été accompagnées par une politique de solidarité. Au bout d’une décennie, l’Allemagne et la « zone centrale » de l’Europe a été renforcée dans sa compétitivité de manière très significative, les régions moins centrales de la France et de l’Italie ont perdu une partie de leur potentiel industriel et les régions périphériques ont été quasiment totalement désindustrialisées (Espagne, Grèce, Portugal). Au final, ces régions pauvres ont parfaitement répondu au modèle de Krugman, mais n’ont pas été suffisamment aidées en contrepartie par la solidarité du « cœur » de la zone.

 

D’une certaine façon, la crise de l’euro était donc inéluctable, la crise financière de 2008 ayant accéléré simplement le processus.

 

 Quelles leçons faut-il tirer de ce constat pour la suite de la crise de l’euro ?

 

1/ Du point de vue de la nouvelle géographie économique, le « bon modèle » pour la zone euro reste toujours le même : celui d’une zone économique intégrée dans laquelle les spécialisations productives s’affirment « naturellement » en faveur des régions les plus compétitives et dans laquelle aussi la solidarité entre les régions permet de maintenir un niveau de vie acceptable dans les régions pauvres. La zone euro ne peut fonctionner que si un réel fédéralisme budgétaire est mis en place pour permettre à l’ensemble des 17 Etats membres de « suivre le rythme ». Les évaluations minimalistes faites par P. Artus de Natixis évoquent des transferts à hauteur de 3% à 4% du PIB du « cœur » de la zone euro soit plusieurs centaines de milliards d’euros par an (P. Artus simule l'effort nécessaire pour stabiliser simplement les inégalités de revenu actuelles entre régions riches et pauvres de la zone euro).

 

2/ En revanche, si la vision allemande de la zone euro prévaut (un ajustement budgétaire à marche forcée, des Etats membres qui équilibrent tous leurs budgets, pas d’union de transfert), alors on peut légitimement questionner la viabilité de l’union monétaire européenne. L’Allemagne semble ne pas bien comprendre les leçons essentielles de la géoéconomie : la concentration de l’industrie en Allemagne peut être une évolution favorable pour l’ensemble de la zone euro, mais à condition que le « cœur » industriel accepte de redistribuer par le biais de transferts importants une partie de la richesse créée vers les régions désindustrialisées. En outre, cela suppose une mobilité du travail très grande des régions pauvres vers les régions riches, le système d’éducation permettant d’attirer les jeunes des zones périphériques vers les usines du cœur de l’économie intégrée. Le modèle prôné par Madame Merkel est très éloigné de cela.

 

3/ Une Europe « économiquement intégrée » est-elle possible ? C’est une question essentielle qui reste largement posée. Les Européens se comportement depuis 1999 comme si ils n’avaient jamais compris les enjeux gigantesques en termes de spécialisation régionale de la monnaie unique européenne. Pour que l’euro réussisse, il leur faut vraiment accepter le caractère souhaitable et même irréversible de l’abandon de certaines productions et de la solidarité financière. Aujourd’hui, rien ne permet vraiment de penser qu’une telle évolution est possible dans la prochaine décennie : la mobilité du travail reste très faible (même si l’effondrement en cours dans le sud de la zone euro est en train de créer des incitations très fortes à apprendre à parler allemand…), les grands Etats continuent à croire à leur avenir industriel, en compétition avec leurs partenaires européens, et mobilisent même des instruments politiques pour freiner le processus.


4/ Pour la France, l’enjeu est considérable. Pour dire les choses brutalement, une évolution de la zone euro conforme à la spécialisation régionale est incompatible avec le maintien de la politique d’égalité territoriale qui est au cœur de la République. Durant les 10 premières années de l’euro, la France s’est beaucoup battue face à l’Allemagne pour refuser un transfert trop massif de l’industrie vers l’Allemagne (pensons par exemple aux efforts considérables déployés en 2004 par Nicolas Sarkozy pour empêcher Siemens de prendre le contrôle d’Alstom). La France en revanche n’a pas été en mesure de construire une « politique industrielle de la zone euro » qui aurait permis un partage équilibré des spécialisations productives avec l’Allemagne.

 

Maintenant que l’Allemagne a toutes les cartes en main, elle est en position de conduire à ses conditions ce processus de spécialisation qui se fera forcément au détriment de la France.

 

Cette tendance est très dangereuse pour la France dont les régions ne sont pas toutes capables de faire partie du « cœur industriel » de la zone euro. Si l’Alsace, le Nord et la Région Rhône Alpes seront naturellement mises en orbite du cœur germanique (les ouvriers y parleront tous allemand dans 10 ans), toutes les régions du sud et de l’ouest de la France seront probablement totalement désindustrialisées. L’Etat, mis sous tutelle budgétaire, n’aura plus les moyens de compenser par la dépense publique les dotations factorielles de ces régions ni de maintenir leur niveau de richesse par habitant. Il s’ensuivra une rupture inédite de l’égalité territoriale en France et la fin d’une certaine forme d’égalité républicaine établie depuis le XIXe siècle sur notre territoire.

 

Un objectif essentiel de la France dans la négociation qui va s’ouvrir avec l’Allemagne sur le fédéralisme européen devrait donc à notre sens porter sur ce sujet central. La dépense publique française provient en partie du poids des dépenses liées à la redistribution interne à la France de la richesse nationale (pensons à l’essor des dépenses locales depuis 10 ans). L'Allemagne a ses propres problèmes avec l'ex-RDA, mais elle a les marges financières pour continuer à subventionner les Landers de l'est en dépis de l'échec relatif de sa politique de revivification de ces régions (largement vidées de leur population jeune partie à l'ouest). Pour que la France puisse rester durablement dans la zone euro, il faudra que l’Etat français ou la solidarité européenne finance ces régions périphériques grâce à des transferts financiers.


La préservation de la cohésion sociale et territoriale de la nation française doit être l’objectif majeur des autorités françaises dans les prochaines négociations avec l’Allemagne. Elles en ont le devoir.  

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11 novembre 2011 5 11 /11 /novembre /2011 00:35

Depuis le début de la crise de l’euro, tous les commentateurs sont sûrs d’une chose : même si cela était souhaitable, une sortie de l’euro ne serait techniquement et juridiquement pas possible. Les traités ne prévoient aucune autre solution qu’une sortie de l’UE en même temps qu’une sortie de l’euro. Surtout, réintroduire une monnaie nationale provoquerait un effondrement économique complet qui n’est pas une option crédible. Bref, les Etats membres de l’euro sont condamnés à mourir à petit feu ou à espérer qu’un jour l’Allemagne accepte enfin de boucler leurs fins de mois.

 

Cette affirmation martelée matin et soir commence à être remise en cause.

 

Deux prises de position récentes sont instructives.

 

1/ D’abord, l’éditorialiste de référence du Financial Times (dont on ne peut pas douter des compétences financières !) Martin Wolf a commencé a détailler en pleine page ce que pourrait être un mécanisme « contrôlé » de sortie de l’euro. C’est le versant technique et financer du sujet qui est crucial.

Son plan, dans le cas de la Grèce, est le suivant :

- La Grèce réintroduit une monnaie nationale, la « nouvelle drachme »

- « Les nouveaux contrats exécutés sous loi grecque et les impôts et dépenses en Grèce seraient libellés dans la nouvelle monnaie » (la loi grecque peut imposer cette conversion sans risque de contestation juridique).

- « Les contrats existant resteraient en euros » (afin d’éviter les risques liés à la contestation juridique d’une conversion forcée).

- « Les banques auraient des comptes résiduels en euros (« legacy euro accounts ») et des comptes en nouvelle drachme »

- Le taux de change contre euro de la nouvelle monnaie serait fixé par le marché, il se déprécierait rapidement, « ce qui est désespérément nécessaire ».

- Le Gouvernement grec serait soumis aux obligations d’un programme international « reformulé » (sous entendu par le FMI). « Il continuerait à se battre pour arriver à l’équilibre des comptes publics, mais il serait aidé en cela par ce qui s’apparenterait à une dévaluation réelle massive ».

- La nouvelle banque centrale gérerait la nouvelle monnaie en toute indépendance.

- Les prix internes monteront en nouvelle monnaie, mais compte tenu des capacités de production non utilisées très importantes, l’hyperinflation pourrait être évitée avec une aide internationale appropriée.

- « Il y aurait des défauts sur les dettes privées et publiques dans des montants importants. Mais si la Grèce devait rester dans l’euro et subir une déflation durable pour espérer retrouver de la compétitivité sans une nouvelle monnaie, la valeur réelle de la dette en euro exploserait également et ce phénomène accélérerait même le processus de défaut » (donc ces défauts sont de toute façon incontournables, la seule question est comment les gérer au mieux).

- « La Grèce perdra son droit de vote à la BCE, mais la possibilité d’un retour un jour dans l’euro demeurerait ».

- « Une telle approche coopérative pour réintroduire une monnaie nationale serait la moins couteuse, mais elle générerait forcément de la contagion ».

Si M. Wolf présente un plan aussi détaillé, cela signifie que contrairement aux affirmations de certains économistes de banques (ING, UBS, abondamment cités malgré leur exposition à un conflit d’intérêt évident…) la sortie de l’euro ne serait pas forcément l’Armageddon.

 

La restructuration des dettes est une permanence des crises financières. Malgré les dénégations de M. Trichet, pourtant ancien président du Club de Paris (dont le métier est, justement, de restructurer de manière ordonnée les dettes des pays pauvres), la restructuration des dettes des pays du sud, dettes privées comme publiques, est possible et même souhaitable sans créer de catastrophe. Bien sûr, on nous dira que la Grèce ne pourra plus jamais avoir accès au marché international des capitaux et sera condamnée à l’autarcie. Mais l’histoire financière dit exactement le contraire : le cas de l’Argentine est l’exception et non la règle (le pays est privé d’accès aux marchés depuis 10 ans depuis le défaut de 2002). Les autres pays ayant fait défaut, parfois massivement mais de manière ordonnée et coopérative sont souvent revenus sur les marchés rapidement, car les créanciers savent qu’une faillite ordonnée est souvent le gage d’un nouveau départ gagnant.

 

2/ La seconde évolution intéressante concerne le volet juridique de la sortie de l’euro. La CDU allemande prépare pour son congrès une motion demandant à la Chancelière de proposer une révision du Traité européen pour permettre à un pays de sortir de l’euro sans devoir forcément sortir de l’Union européenne et du marché unique. Il fallait y penser.

 

Nous avons toujours considéré qu’une telle révision du Traité était probable en cas de sortie forcée de l’euro. Le maintien de pays membres de l’UE hors de l’euro montre depuis dix ans que l’appartenance à l’Union est compatible avec le refus de rejoindre l’euro. L’argument juridique exposé avec autorité n’a aucune pertinence politique.

 

Nous n’avons en outre jamais douté que l’intelligence collective mobilisée pour sauver une zone monétaire sans avenir (création de l’EFSF, création d’un levier pour le fond, montages de SPIV en tous genre pour attirer de l’argent chinois, etc..) peut évidemment être mise au service de plans B.

 

Il est temps de travailler sérieusement à un processus maîtrisé de sortie de l’euro pour les pays qui, de toute évidence, finiront de gré ou de force à en sortir.

 

La déconstruction de l’euro ne sera pas la fin du monde.

 

 

 

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30 octobre 2011 7 30 /10 /octobre /2011 18:13

L’accord européen du 26 octobre dernier relance l’hypothèse d’une sortie par le haut de la crise européenne. Une tentative réussie de stabilisation des finances de la Grèce (mise sous tutelle internationale pour une très longue période) et de limitation de la contagion à l’Espagne et à l’Italie pourrait déboucher sur une nouvelle étape plus positive de l’action européenne : relance d’une véritable politique et croissance et du fédéralisme.

 

Une telle perspective n’est bien sûr pas illégitime. Néanmoins, outre les grandes incertitudes qui demeurent sur la véracité de la « sortie de crise » acclamée depuis jeudi dernier, il nous semble nécessaire d’engager rapidement une clarification de fond sur les termes de ce nouveau débat européen.

 

A ce stade, les partisans d’un approfondissement européen ne sont pas convaincants car ils ne répondent jamais aux vraies questions sous-jacentes à leur volonté d’aller toujours vers « plus d’Europe ».

 

1/ Un débat sérieux sur la crise de l’euro doit toujours revenir au fondement même du processus de dislocation progressive de la monnaie unique : l’hétérogénéité insoutenable à terme des économies de la zone euro et l’incapacité des Européens à définir ensemble depuis dix an un modèle économique coordonné et viable.

 

De ce point de vue, les prises de position récentes des euro-fédéralistes ne répondent absolument pas à cette question fondamentale. L’engagement de la zone euro dans un nouveau changement de traité en vue d’un « saut fédéral » au plan fiscal, avant à terme l’union politique tant rêvée, est présenté comme la solution finale au problème. Obsédé par les questions institutionnelles, ils sont probablement convaincus que les institutions sont de nature à « forcer le réel » et qu’il suffit de changer les traités pour agir sur les structures économiques européennes. Or, après dix ans d’UEM, il est patent qu’un tel pari est voué à l’échec.

 

Une institution, aussi puissante et fédéralisée soit-elle n’est pas en mesure d’agir sur les dynamiques économiques et sociales nationales à moins de disposer de moyens d’action extraordinairement puissants : un système fédéral intégré et redistributif portant sur plusieurs dizaines de points de PIB (20% aux Etats-Unis), des mécanismes de solidarité financière très élaborés (comme en Allemagne ou en France entre les collectivités locales), une dette fédérale commune, une régulation centralisée du secteur financier, un droit du travail et un droit social harmonisé dans ses composantes les plus fondamentales (rôle des partenaires sociaux, place relative des cotisations sociales et des impôts pour financer la protection sociale), des préférences collectives harmonisées en matière de financement des services publics, de politique de défense, de politique énergétique…  

 

Dans ce contexte, les annonces du Président Sarkozy de jeudi dernier semblent bien pauvres : un impôt sur les sociétés franco-allemand (base et taux harmonisés), un impôt sur le patrimoine harmonisé et un « gouvernement économique européen » pour discipliner les déficits publics. Or, il faut le redire, les dérapages des finances publiques observés au sud de l’Europe ne sont que des symptômes d’une crise existentielle d’une zone monétaire ouverte aux quatre vents de la concurrence fiscale et sociale, sans projet économique commun et sans instruments de correction de ses déséquilibres internes. Qui donc pourrait croire que de telles mesures, seront suffisantes pour créer une véritable « europe économique»?

 

On comprend mieux, face à l’ampleur de la tâche, les raisons pour lesquelles les promoteurs de l’Europe fédérale se gardent bien de discuter les conséquences de fond de leur projet intégrationniste.

 

Assez donc de propos vagues sur le « saut fédéral ». Pour être crédibles, les partisans du fédéralisme doivent nous dire maintenant quel projet économique et social de fond ils entendent faire porter par des institutions européennes renforcées.

 

2/  Le déroulement de la crise de l’euro depuis 2010, en dépit des grandes déclarations médiatiques, démontre tous les jours l’opposition croissante des modèles économiques souhaités par le nord et le sud de la zone euro. Il semble donc plus qu’improbable qu’une conciliation soit possible entre ces deux modèles. Une « intégration » économique européenne n’a donc de sens que dans l’application du modèle germanique à l’ensemble de la zone euro.

 

Parlons franchement : il est probablement trop tard pour faire émerger un modèle économique « européen », fruit d’un compromis équilibré entre le modèle allemand (centré sur la compétitivité et l’exportation) et le modèle latin (centré sur la consommation, l’endettement et l’ajustement régulier de la compétitivité par le change). La recherche d’un tel compromis aurait du être la priorité absolue des dirigeants européens après 1999, mais, grisés par les faux-semblants du libre-échangisme intégral et les facilités permises par l’endettement public et privé, ils ont collectivement démontré leur irresponsabilité. Il est pathétique à cet égard d’entendre les responsables actuels souligner les fautes commises par leurs prédécesseurs (si le Président Sarkozy admet que l’entrée de la Grèce dans l’euro était une erreur, veut-il dire aussi que faire entrer l’Espagne et l’Italie en était une autre ?).

 

Les écarts de compétitivité ont trop été creusés. L’Europe du sud est ruinée (endettement public et privé généralisé), l’Europe du nord est sur-compétitive. Même un bouleversement total des politiques du nord ne permettrait pas de corriger les déséquilibres nord-sud avant plusieurs décennies (par exemple, Bercy a simulé qu’il faudrait 22 ans à l’Espagne pour rétablir la compétitivité coût du travail vis à vis de l’Allemagne dans l’hypothèse peu réaliste d’une politique salariale « normale » (des gains salariaux égaux à la productivité) en Allemagne).

 

La seule hypothèse crédible est donc celle d’un alignement complet du sud de l’Europe sur le modèle allemand. Elle est en train de se réaliser sous nos yeux avec la victoire totale de Mme Merkel au sommet du 26 octobre : refus du financement monétaire des Etats en difficulté par la BCE, réforme des traités uniquement centrée sur la « gouvernance budgétaire », mise sous tutelle de la Grèce par les experts européens.

 

3/ Les partisans du « plus d’Europe » doivent donc dire la vérité à leurs électeurs mais elle sera très dure à dire.

 

Pour la France, l’alignement sur l’économie allemande passe par une réorientation totale de notre politique économique et sociale :

 

finances publiques : le déficit structurel de la France restera de -5% du PIB en 2011 malgré des recettes publiques de 50% du PIB. En Allemagne, le déficit structurel est de 1% malgré des recettes publiques à 43% du PIB. Les dépenses publiques représentent 56,6% du PIB en France, contre exactement 10 points de moins en Allemagne (49,9%). La réduction du déficit structurel français rend nécessaire de franchir une « marche d’escalier » de 5% du PIB soit 100 milliards d’euros. Ce ne sera pas possible du simple fait de l’augmentation des recettes (la coupe des niches fiscale a des limites, la compétitivité externe interdit des hausses massives d’impôts sur les sociétés et la hausse de la TVA et de la CSG pèse fortement sur le pouvoir d’achat). Il faudra donc, comme l’Allemagne depuis 10 ans, conduire une politique résolue de réduction de la dépense et donc de retrait progressif de l’Etat de pans entiers de la protection sociale et du territoire (la France est un pays moins dense que l’Allemagne, ses services publics sont donc structurellement moins productifs). Quels postes de dépenses seront-ils réduits ? Dans quel calendrier ? L’Irlande, qui a connu dix ans de très forte croissance, montre qu’une telle politique d’austérité brutale est possible, mais est-elle concevable en France où l’euro n’a pas créé la même dynamique positive et où la population a déjà le sentiment de subir la crise depuis des années ?

 

Compétitivité : le cœur du modèle allemand repose sur la priorité accordée à la montée en gamme de l’industrie, la compression des salaires et la délocalisation de l’amont industriel. Pour la France, cela signifie d’abord un gel en valeur nominale du SMIC pendant une décennie (comme l’Allemagne de 1999 à 2008), et donc une baisse du pouvoir d’achat des salariés Français. Le « Président du pouvoir d’achat » en est-il conscient ? La compétitivité passe également par la délocalisation massive des emplois peu qualifiés de l’industrie vers la périphérie hors zone euro (Afrique du nord, Europe de l’Est), dans le cadre d’une stratégie globale de co-prospérité et de sacrifice des catégories peu qualifiées de salariés soumises à des règles dures en matière d’aide sociale et d’indemnisation du chômage (le taux de pauvreté en Allemagne a bondi suite à l’Agenda 2010). Enfin, une réforme de grande ampleur du droit du travail pour réduire fortement la protection de l’emploi seraient nécessaires.    

 

 4/ Une telle politique est-elle réaliste ? Nous pouvons en douter.

 

D’abord, l’avance acquise par l’Allemagne est réelle et il est peu probable qu’elle freine ses efforts de compétitivité pour nous laisser le temps de la rattraper. Le consensus interne est total en Allemagne sur les fondements de la politique mercantiliste. Une victoire du SPD en 2013 n’y changerait rien. En affaiblissant la France, l’Allemagne peut espérer au contraire prendre un ascendant irrémédiable dans les secteurs économiques dans lesquels les grands groupes françaises concurrencent encore les entreprises allemandes (pensons à Alstom).

 

Ensuite, nous pouvons douter la capacité de l’appareil politique français à conduire une politique aussi radicale, dans un laps de temps réduit, alors que l’exigence de réforme est une évidence depuis plus de 10 ans. L’histoire montre les limites des capacités d’adaptation des sociétés. La France n’est pas l’Allemagne : elle n’a pas la même histoire sociale, les mêmes spécialisations industrielles, la même vision du rôle de l’Etat et de la décentralisation.

 

Enfin, un alignement complet de la France sur le modèle allemand serait contre-productif à l’échelle de l’Europe. En réalité, l’Allemagne a profité grandement de la bonne tenue de la consommation française et de notre sous-compétitivité. L’obsession de la compétitivité est un jeu à somme nulle à l’échelle européenne, car l’Europe du sud ne pourrait plus absorber massivement les exportations « compétitives » et la capacité des Européens à conquérir des parts des marché à l’international resterait limitée par la montée en gamme des émergents.

 

*

 

L’alignement de la France et du reste de l’Europe sur le modèle allemand ne mènera donc nulle part.

 

Une approche européenne réaliste passe par la définition d’un projet économique réellement « communautaire » dont les contours n’ont jamais été aussi flous, simplement parce que la logique libre-échangiste de l’Europe de Bruxelles interdit l’idée même de l’affirmation d’un modèle européen disposant d’instruments de régulation équivalents à ceux mis en œuvre dans le reste du monde (protections commerciales, politique industrielle, politique de change répondant aux intérêts bien compris de chaque ensemble économique).

 

La victoire totale de l’Allemagne dans la gestion de la crise européenne rend plus que jamais irréaliste l’émergence d’un tel projet économique collectif à l’échelle de l’Europe que nos élites n’ont pas su faire émerger durant les premières années de l’euro.

 

Pourtant, les élites politiques françaises s’apprêtent à nouveau à promouvoir ce mythe lors des élections de 2012. 

 

A l’impossible nul n’est tenu. Si la pression que l’Allemagne s’apprête à exercer sur notre économie et notre société est décidément insupportable, est-ce raisonnable de persévérer dans une voie sans issue ? N’avons-nous vraiment aucun autre choix, alors que l’évolution du monde démontre tous les jours l’efficacité de politiques nationales stratégiques souples et adaptatives de pays plus petits que la France, sûrs de leurs atouts, conscients de leurs faiblesses et forts de leur cohésion intérieure (pensons à la Corée du Sud, membre de l’OCDE, ou aux pays scandinaves présentés par tout en modèles). L’idée d’une sortie par le haut de l’Allemagne de la zone euro et de la constitution d’un « euro du sud » autour de la France et de l’Italie est-elle si absurde ?

 

Le prochain Président de la République doit-il est élu pour sauver l’euro ou pour servir la France ?

 

Il est temps d’ouvrir un vrai débat.

 

 

 

 

 

 

 

 

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27 octobre 2011 4 27 /10 /octobre /2011 19:48

La crise est finie, l'euro est sauvé : les marchés sont formels, le CAC 40 vient de clôturer à +6%, les spreads reculent, l'euro remonte ... Bienvenue dans le monde merveilleux de l'Europe allemande.

 

Pour mémoire, il s'agit au moins de la 5e réédition en moins de deux ans d'une telle euphorie :

- 2 mai 2010 : premier plan d'aide à la Grèce, la bourse est euphorique ... 48 heures

- 10 mai 2010 : création du FESF. La bourse est euphorique ... plusieurs mois, jusqu'à la faillite de l'Irlande à l'automne

- 28 novembre 2010 : plan d'aide à l'Irlande, la bourse salue le plan, puis retombe rapidement

- 21 juillet 2011 : plan global de résolution de la crise de l'euro, la bourse salue l'accord le 22, puis entame une descente aux enferts

- 27 octobre 2011, donc.

 

Pour notre part, nous attendrons un peu pour analyser la portée de l'accord d'hier. Les détails manquent cruellement, les jugements exprimés n'ont donc aucune substance concrète.

 

Le blog Euro-Crise 

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25 octobre 2011 2 25 /10 /octobre /2011 21:49

L'éditorial du journal Le Monde daté du 26 octobre marque un tournant dans la crise de l'euro telle qu'expliquée aux Français.

 

A notre sens, c'est en effet la première fois que le triste sort de notre pays est enfin clairement décrit, au travers d'une sentence fédéraliste définitive sur la nullité crasse d'un peuple qui mérite bien son sort (nous soulignons):

 

L'Europe a besoin d'un nouveau souffle et d'architectes volontaires et ambitieux. Il faut bien sûr, de toute urgence, sauver l'euro. Les pères de la monnaie unique l'avaient peut-être survendue à leurs opinions publiques, la présentant comme la clé absolue du bonheur. Ce qu'elle ne saurait être. Elle en est pourtant une condition. Au-delà, c'est la manière dont l'Europe fonctionne, dont elle s'organise, c'est la solidarité qu'elle fait jouer entre ses membres qui doivent être reconsidérées. On l'oublie dans cette période où les difficultés de chacun favorisent les égoïsmes de tous : le monde qui se construit sera constitué de grands ensembles - autour des Etats-Unis et de la Chine, notamment. Face à ces géants, la France peut regretter d'avoir à choisir entre une Europe allemande (celle qui se dessine) et une Europe éclatée. Elle aurait pu s'épargner ce choix si elle s'en était donné les moyens, si elle ne s'était laissé affaiblir par ses déficits en tout genre - financiers, commerciaux et de compétitivité. Il est trop tard pour le regretter. Le feu est là. Il faut stopper l'incendie et commencer à reconstruire, dans le même temps, la maison. Il y a urgence.

 

Cet éditorial est absolument consternant.

 

Il résume bien la pensée de nos élites vieillissantes : l'Europe à tout prix, y compris celui d'abdiquer toute ambition nationale dans un projet collectif. L'Europe sera allemande ou ne sera pas, donc elle sera allemande.

 

A-t-on encore le droit d'être choqué par un tel renoncement à la défense des intérêts de la France ?

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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 12:31

Pendant que les responsables européens réfléchissent aux solutions nouvelles à apporter d’ici le 26 octobre à la crise européenne qui a pris une dimension mondiale, essayons de prendre un peu de recul sur quelques grands enseignements des événements des dernières semaines en Europe.

Pour aider à réfléchir, nous essayons de mettre en évidence les grands présupposés qui permettent de croire encore à la stratégie de sortie de crise poursuivie par les Européens. Ces présupposés sont  autant de points de rupture dont le franchissement ou non sera la clé de l’avenir de l’euro.

 

 

Jusqu’où l’Allemagne est-elle prête à aller pour « sauver l’euro » ?

Premier postulat : l’Allemagne la volonté de tout mettre en œuvre pour sauver l’euro, car elle a compris que la fin de la monnaie unique serait au final plus coûteuse pour elle que le prix à payer pour sa survie.

Cette conviction est assez partagée par les responsables Européens qui se rassurent en constatant que, jusqu’à présent, l’Allemagne a beaucoup parlé contre les plans de sauvetage des pays du sud, mais toujours agi en faveur de ces plans. Le vote de l’EFSF2 par le Bundestag est le dernier acte en date qui confirme ce constat.

Il apparaît néanmoins de plus en plus clairement aussi une limite à cet engagement allemand : c’est la solvabilité même de l’Allemagne. Comme le fait remarquer M. Wolf cette semaine dans le FT, la vraie limite pour la stratégie actuelle de sauvetage de l’euro est la crédibilité financière de l’Allemagne elle-même. Aujourd’hui, elle reste très forte, et les taux allemands restent très bas. En revanche, la montée des CDS sur l’Allemagne est signe avant coureur d’un possible changement de sentiment des marchés si le coût des plans de sauvetage devait faire peser des risques sur la solvabilité allemande.

En réalité, l’Allemagne n’est pas totalement protégée contre un tel risque. Sa dette publique est élevée en terme absolu (1960 Md€ soit 76% du PIB en 2011), comme tous les pays du G7. Elle a du financer sa réunification dans les années 1990 puis laisser filer le déficit durant les périodes de faible croissance des années 2000 et lors de la crise de 2008.

Au final, la marge de sécurité de l’Allemagne ne tient qu’à sa capacité à ne plus faire de déficit dans l’avenir et à réduire rapidement son ratio de dette sur PIB. Cette marge reste forte dans le cadre national, surtout grâce à la « règle d’or » adoptée en 2009 (qui interdit les déficits de plus de 0,25% du PIB après 2016, sauf circonstances très exceptionnelles). Cette marge sera fortement réduite si la défaillance d’un Etat membre garant de l’EFSF devait demain déclencher un appel en garantie de l’Etat allemand sur les remboursements de la dette de l’EFSF.

 

 

Jusqu’à quand l’Allemagne acceptera-t-elle l’intervention de la BCE en soutien des pays périphériques ?

Second postulat : la BCE constitué l’ancre ultime de la zone euro depuis le début de la crise financière et sera toujours présente comme dernier rempart contre l’effondrement du système financier et la faillite d’un Etat européen.

Il est vrai que la BCE, sous la présidence de Jean-Claude Trichet, n’a pas hésité à plusieurs reprises et sous une pression intense des marchés à intervenir en soutien des banques puis des Etats pour prévenir une dislocation financière accélérée dans la zone euro (apport de liquidité sans limite de volume aux banques dès 2007, acceptation du papier souverain en collatéral du refinancement bancaire sans condition de notation, rachats de titres souverains sur le marché secondaire en mai 2010 puis en août 2011). Pour beaucoup d’observateurs, il ne fait pas de doute que la BCE continuera, sous la présidence de Mario Draghi, à intervenir autant que nécessaire, tout simplement car elle n’aura pas d’autre choix face à des risques réels d’effondrement financier total. Mario Draghi, banquier central aguerri et ancien vice-président de Goldman Sachs en Europe connaît bien les marchés et saura, comme J.C. Trichet, cacher son pragmatisme derrière un langage en apparence très rigoureux.

Cette vision des choses passe néanmoins sous silence deux réalités. D’abord, la crise financière a révélé au grand jour une division croissante du conseil des gouverneurs de la BCE. Deux responsables allemands très puissants ont démissionné en 2011 (A. Weber et J. Stark), reflétant le malaise grandissant en Allemagne face à l’engagement de la BCE en soutien des Etats défaillants de la zone euro. En outre, cette réaction allemande reste encore modérée (elle n’a pas empêché la BCE d’intervenir de facto) tout simplement parce que, pour le moment, les interventions de la BCE restent extrêmement modestes (163 Md€ d’achats d’obligations) comparées à celles de la FED américaine (le QE2 portant sur 600 Md$ d’achats d’actifs) et de la Banque d’Angleterre (qui détient 25% de la dette publique britannique dans ses livres !). Officiellement, les interventions de la BCE via le SMP (programme d’achat d’obligations) sont « stérilisées » de manière à prévenir toute création monétaire « pure » source d’inflation.

La BCE n’a donc pas encore testé le point limite à partir duquel l’Allemagne entrerait en révolte ouverte contre une politique active de création monétaire pour « sauver l’euro ». L’heure est encore à la « préservation de la frontière entre politique monétaire et politique budgétaire ». Un accord sur un EFSF « étendu » pourrait par exemple se faire le 23 octobre sur un mécanisme n’impliquant pas la BCE. Pourtant, compte tenu de l’ampleur de la crise de la dette, l’intervention massive de la BCE serait une solution de moindre mal pour l’Europe aux yeux de nombreux analystes (notamment anglo-saxons). Elle deviendrait la seule solution tout court en cas d’attaques massives contre l’Italie et peut être un jour la France.

Lorsque toutes les autres options insuffisantes auront été testées, l’Allemagne fera-t-elle preuve de pragmatisme ou préféra-t-elle ouvrir une crise porteuse de tous les dangers pour préserver à tout prix la sacro-sainte « stabilité monétaire » ?   

 

 

 

Jusqu’à quand les Européens ignoreront-ils les leçons du passé sur l’annulation de la dette des pays surendettés ?

 Troisième postulat : contrairement aux pays émergents confrontés dans le passé à une crise de la dette, la réduction du stock de la dette des pays de la zone euro n’est absolument pas une option compte tenu des risques élevés de contagion qu’elle implique.

Il est vrai que ce postulat a déjà commencé à être remis en cause, depuis l’accord du 21 juillet sur la dette grecque qui a mis en œuvre une réduction « volontaire » de la dette grecque détenue par le secteur privé de 21%. Néanmoins, ce plan est assorti d’un engagement « solennel » de tous les autres souverains européens comme quoi ils respecteront absolument leur signature souveraine, la Grèce étant un cas « très exceptionnel ». Le postulat resterait donc valide pour tous les autres membres de la zone euro.

Cette position européenne est extrêmement fragile. D’abord, l’histoire des crises de la dette depuis les années 1980 a clairement démontré la nécessité pour les créanciers d’accepter une réduction de la dette et non seulement un rééchelonnement (repousser dans le temps les échéances sans en réduire le montant) lors que le pays débiteur est confronté à une dette clairement non soutenable. Malgré ces leçons du passé, les Européens se sont entêtés durant deux ans à refuser une restructuration incontournable de la dette grecque, avant de finalement céder devant la réalité. On parle dorénavant d’une réduction de 50% ou plus de la dette grecque le 23 octobre prochain.

Il n’y a aucune raison de penser que ces leçons du passé ne vaudront pas également pour d’autres souverains de la zone euro, et les marchés le savent. Le Portugal, avec ses très faibles perspectives de croissance à long terme, sera en première ligne après la Grèce. L’Irlande elle-même, avec un stock de dette de plus de 120% du PIB et un excédent retrouvé de ses comptes courants est, elle aussi, dans une situation où un défaut partiel sur la dette peut être tenté sans provoquer de catastrophe. La situation grecque est sans doute exceptionnelle par la gravité des défaillances structurelles de l’économie, mais d’autres pays de la zone euro peuvent certainement se retrouver eux aussi en situation d’insolvabilité. Sans parler de l’Italie dont la dette (120% du PIB) ne sera plus longtemps soutenable si l’économie replonge en récession en 2012…

Pour continuer à faire mentir les leçons du passé, les Européens n’ont donc d’autre choix que de mettre en place des mécanismes démesurés de refinancement des dettes des pays du sud de la zone euro, dont l’Italie, susceptibles d’être attaqués à court ou moyen terme par les marchés. Le coût potentiel de ces mécanismes (EFSF « leveragé ») paraît tellement énorme en cas d’échec de cette stratégie que les pays les plus vertueux du nord de l’Europe pourraient bien être tentés de choisir de suivre les recommandations des années 1980. C’est le sens de la proposition de « mécanisme pour une restructuration ordonnée de la dette » demandé par l’Allemagne.

A ce jour, personne n’est réellement capable de dire si un tribunal de la dette en Europe est réalisable. En 2001, le FMI avait échoué dans sa proposition de mécanisme mondial de restructuration des dettes souveraines (le « SDRM »). Beaucoup d’observateurs parient que les Allemands échoueront de la même manière et qu’il n’existe en réalité qu’une méthode pour restructurer les dettes : la négociation de bonne foi entre créanciers et débiteurs,  dans le cadre de comités de créanciers votant à la majorité qualifiée (d’où l’idée des clauses d’action collective) en retenant les prix de marché comme indicateur de référence de l’effort nécessaire des créanciers.

 

Jusqu’à quel point l’Allemagne résistera-t-elle à une mutualisation de la dette en Europe ? 

Quatrième postulat : la mutualisation des dettes souveraines en Europe par la création d’Eurobonds sera, qu’on le veuille ou non, la solution qui devra être retenue pour mettre un point final à la crise. L’Allemagne y est fermement opposée aujourd’hui, mais la pression des marchés et l’inefficacité des autres solutions auront raison de cet obstacle. La plupart des commentateurs en sont convaincus.

Dejà le SPD et les Verts sont publiquement en faveur des euro-obligations. Certains leaders de l’actuelle coalition y seraient également favorables, mais après les élections de 2013. Officiellement, la France et l’Allemagne considèrent que les Eurobonds seront créés à la fin d’un processus d’intégration budgétaire, et non avant. Les choses avancent, donc.

Pourtant, la création des Eurobonds pourraient s’avérer bien plus complexe qu’annoncé. D’abord, l’opposition allemande repose sur de solides arguments : les euro-obligations réduiront la pression sur les gouvernements laxistes et risquent donc de provoquer un accroissement généralisé de la dette européenne, au risque de remettre en cause la solvabilité de la zone. En outre, les Eurobonds supposent une garantie solidaire de tous les Etats membres qui fait peser le risque de remboursement final sur les membres les plus solides de l’union monétaire, en premier lieu l’Allemagne. Enfin et surtout, la Cour constitutionnelle de Karlsruhe semble avoir clairement écarté la possibilité de créer des Eurobonds dans un montant très important (les partisans des euro-obligations parlent d’un encours cible de 6000MdEUR !) dans le cadre constitutionnel allemand actuel. Pour la Cour, la souveraineté budgétaire du parlement, au cœur de la nature démocratique de la République fédérale, est incompatible avec l’engagement d’une garantie allemande irrévocable sur des montants « très élevés ou potentiellement illimités ». Il faudrait donc changer fondamentalement l’organisation constitutionnelle en Allemagne pour créer les Eurobonds (passer au fédéralisme européen en bonne et due forme, par exemple pour permettre l’application du principe de démocratie au niveau de la fédération).

Il semble donc plus réaliste de table sur la création d’euro-obligations à petite échelle : la constitution allemande le permet, et l’EFSF en constitue déjà une préfiguration. En revanche, une mutualisation totale ou d’une large part (60% dans la proposition de dette « bleue/rouge » de Bruegel) des dettes européennes n’apparaît pas possible sans un changement constitutionnel radical en Allemagne difficile à imaginer. 

 

 

Jusqu’à quel point les peuples Européens accepteront-ils l’austérité ?

Cinquième postulat : malgré la rigueur budgétaire qui leur est imposée, les peuples d’Europe supporteront l’austérité car ils savent qu’il n’y a pas d’autre solution pour préserver l’avenir.

Pour le moment, il est vrai que la mise en œuvre des plans d’austérité budgétaire dans les pays touchés par la crise de l’euro n’a pas rencontré une opposition populaire de masse telle qu’elle contraigne les gouvernements à refuser les diktats de Bruxelles et du FMI. En Grèce et en Irlande, la mise en œuvre des programmes d’ajustement impose un effort considérable de contraction des dépenses publiques par la baisse des salaires des fonctionnaires et des interventions de l’Etat et prend des proportions dignes des politiques déflationnistes des années 1930 (baisse cumulée de -50% des salaires des fonctionnaires et des pensions en Grèce !). Au Portugal, le nouveau gouvernement est en train de prendre cette voie. En Espagne, la baisse des salaires des fonctionnaires est de moindre ampleur mais significative (-15%). Les coupes dans les dépenses d’investissement public sont également impressionnantes et accentuent les effets de la récession (en Grèce, au 2e trimestre 2011, l’effondrement de l’investissement suit une tendance de -30% par an !). Au niveau social, les effets des coupes budgétaires sur les populations les plus pauvres sont réels : augmentation forte des bénéficiaires de l’aide alimentaire à Athènes, raréfaction des médicaments disponibles dans les hôpitaux…

Pourtant, la grande masse de la population semble résignée. Au Portugal, l’opposition de droite a remporté les élections en mai 2011 sur un programme d’austérité renforcée. En Grèce, le PASOK perd du terrain mais reste en mesure de faire passer les mesures d’austérité au Parlement. L’Irlande semble donner raison aux tenants de la rigueur. En s’imposant une cure d’austérité massive, elle semble réussir à regagner un certaine confiance sur les marchés (baisse sensible de son taux à 10 ans depuis aout 2011) et la dévaluation interne qu’elle conduit lui permet de renouer avec une balance courante équilibrée.

La capacité des populations du sud de l’Europe à supporter durablement l’austérité demeure toutefois une réelle inconnue pour la suite de la crise de l’euro. La réussite irlandaise est probablement spécifique et une dépression continue des pays méditerranéens pourrait bien provoquer des tensions politiques bien plus fortes. Sans parler de la France qui sera très rapidement confrontée à la nécessité de mettre en œuvre une « vraie » politique de rigueur.  

 

 

Dans quelle mesure le fédéralisme budgétaire et politique est-il acceptable par les peuples Européens ?

Sixième postulat : la zone euro sortira renforcée de la crise. Le fédéralisme politique apparaîtra bientôt comme la seule manière de sortir de la crise et de renforcer l’Europe pour affronter la compétition mondiale au XXIe siècle. Les élites françaises et les médias adhèrent massivement à cette thèse.

Pour utopique qu’elle paraisse, l’option fédéraliste peut séduire car aucune union monétaire n’a survécu dans l’histoire sans fédéralisme politique. En outre, beaucoup de partisans de l’Europe fédérale sont convaincus que l’Europe n’avance que par les crises et que celle-ci est une occasion historique de forcer le destin. Dotée d’une gouvernance fédérale, l’euro serait adossé à un ensemble politique enfin cohérent permettant de mettre en œuvre l’intégration fiscale, sociale et budgétaire indispensable à sa survie.

Pour atteindre cet objectif, les peuples européens seront néanmoins un obstacle majeur. Déjà en 2005, ils ont massivement rejeté la Constitution européenne (là ou des référendums ont eu lieu, mais aussi, par les sondages, en Allemagne). Il n’existe pas de peuple européen, de conscience commune d’appartenance à un corps politique et la crise accentue plutôt le replis vers la nation protectrice.

Dans ces conditions, les fédéralistes seront tentés de passer outre cet obstacle démocratique, en refusant systémiquement l’organisation de referendums et en camouflant autant que possible les avancées fédérales sous l’apparence de changements techniques. La méthode Monnet, en somme. Mais au final, il semble très peu probable qu’un saut fédéral effectif puisse se faire sans approbation populaire explicite.

Pour gagner la confiance des opinions, un projet européen fédéral devrait apparaître souhaitable et crédible. Mais les 20 dernières années de conduite des politiques européennes ont plutôt révélé la nature autiste, non-démocratique, technocratique de la construction européenne actuelle. Il est dur de penser que les Européens donneront leur accord à un vrai transfert de souveraineté à l’Union européenne actuelle.

 

Jusqu’à quel point de tension la France peut-elle continuer à subir la politique allemande sans prendre la responsabilité d’une rupture ?

Septième postulat : la France a perdu définitivement son rang en Europe et suivra toujours in fine l’Allemagne. Elle ne prendra jamais la responsabilité d’une rupture avec Berlin malgré le prix de plus en plus élevé que cela implique pour elle.

Plus la crise de l’euro avance, plus la France disparaît de la scène européenne comme acteur autonome. Malgré les belles déclarations communes, le « couple franco-allemand » cache la réalité d’une Allemagne puissance dominante qui impose ses choix, sur la mise en faillite des Etats du sud, la limitation des engagements financiers des pays vertueux et la recapitalisation des banques. L’illusion d’une dynamique franco-allemande est utile à l’Allemagne pour cacher la réalité de sa puissance retrouvée et imposée qui a été révélée au grand jour en juillet 2011. L’Allemagne, seule, a alors imposé un restructuration de la dette grecque à la BCE et à la France.

Le prix à payer pour la France de cet alignement imposé sur les vues allemandes a un prix de plus en plus élevé. Depuis 1999 déjà, la politique mercantiliste allemande a ruiné une bonne part de l’industrie française. Il est vrai que les 35 heures, auto-infligés à l’économie française par le gouvernement Jospin n’ont rien arrangé. Avec la perspective de plus en plus probable d’une dégradation de sa note souveraine, la France redoute maintenant de tomber du mauvais coté, celui des perdants de la zone euro et l’Allemagne ne mettra pas en péril sa propre solvabilité pour la soutenir. Avec moins de croissance, éventuellement même une entrée en récession, la France risque d’entrer dans le cercle infernal austérité-récession très dangereuse politiquement.

La capacité de la population française et des élites nationales à accepter de voir la France disparaître comme puissance européenne n’est toutefois pas certaine. De gré (via les élites) ou de force (via le peuple), les dirigeants Français pourraient devoir prendre la responsabilité d’une rupture avec l’Allemagne et rééditer un sursaut toujours réalisé dans le passé tumultueux des relations franco-allemandes.   

 

 

 Conclusion

La continuation de la crise de l’euro sans bouleversement majeur en Europe (saut fédéral complet ou dislocation de l’euro) reste encore le scénario le plus probable pour les prochains mois.

A plus long terme, le point d’atterrissage pour l’Europe repose sur autant de points de rupture – au moins sept ici identifiés – dont le franchissement fera « tomber » l’Europe d’un côté ou de l’autre de l’éventail des possibles.

Au regard de l’histoire, le scénario d’une Europe unifiée, renforcée et germanisée à l’horizon 2030 (eurobonds, interventions limitées de la BCE, fédéralisme budgétaire et politique, austérité généralisée, mise en faillite ordonnée au sud, alignement de la France sur l’Allemagne) semble plutôt improbable malgré les certitudes assénées par les « experts ».

Les réponses qui seront données à ces sept questions orienteront le destin des peuples européens au XXIe siècle.

  

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22 octobre 2011 6 22 /10 /octobre /2011 12:23

Jusqu’à quel point de tension la France peut-elle continuer à subir la politique allemande sans prendre la responsabilité d’une rupture ?

Septième postulat : la France a perdu définitivement son rang en Europe et suivra toujours in fine l’Allemagne. Elle ne prendra jamais la responsabilité d’une rupture avec Berlin malgré le prix de plus en plus élevé que cela implique pour elle.

Plus la crise de l’euro avance, plus la France disparaît de la scène européenne comme acteur autonome. Malgré les belles déclarations communes, le « couple franco-allemand » cache la réalité d’une Allemagne puissance dominante qui impose ses choix, sur la mise en faillite des Etats du sud, la limitation des engagements financiers des pays vertueux et la recapitalisation des banques. L’illusion d’une dynamique franco-allemande est utile à l’Allemagne pour cacher la réalité de sa puissance retrouvée et imposée qui a été révélée au grand jour en juillet 2011. L’Allemagne, seule, a alors imposé un restructuration de la dette grecque à la BCE et à la France.

Le prix à payer pour la France de cet alignement imposé sur les vues allemandes a un prix de plus en plus élevé. Depuis 1999 déjà, la politique mercantiliste allemande a ruiné une bonne part de l’industrie française. Il est vrai que les 35 heures, auto-infligés à l’économie française par le gouvernement Jospin n’ont rien arrangé. Avec la perspective de plus en plus probable d’une dégradation de sa note souveraine, la France redoute maintenant de tomber du mauvais coté, celui des perdants de la zone euro et l’Allemagne ne mettra pas en péril sa propre solvabilité pour la soutenir. Avec moins de croissance, éventuellement même une entrée en récession, la France risque d’entrer dans le cercle infernal austérité-récession très dangereuse politiquement.

La capacité de la population française et des élites nationales à accepter de voir la France disparaître comme puissance européenne n’est toutefois pas certaine. De gré (via les élites) ou de force (via le peuple), les dirigeants Français pourraient devoir prendre la responsabilité d’une rupture avec l’Allemagne et rééditer un sursaut toujours réalisé dans le passé tumultueux des relations franco-allemandes.   

 

 Conclusion

La continuation de la crise de l’euro sans bouleversement majeur en Europe (saut fédéral complet ou dislocation de l’euro) reste encore le scénario le plus probable pour les prochains mois.

A plus long terme, le point d’atterrissage pour l’Europe repose sur autant de points de rupture – au moins sept ici identifiés – dont le franchissement fera « tomber » l’Europe d’un côté ou de l’autre de l’éventail des possibles.

Au regard de l’histoire, le scénario d’une Europe unifiée, renforcée et germanisée à l’horizon 2030 (eurobonds, interventions limitées de la BCE, fédéralisme budgétaire et politique, austérité généralisée, mise en faillite ordonnée au sud, alignement de la France sur l’Allemagne) semble plutôt improbable malgré les certitudes assénées par les « experts ».

Les réponses qui seront données à ces sept questions orienteront le destin des peuples européens au XXIe siècle.

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